Parties Blitz
Préambule
Un dimanche de novembre, il est 14 heures, le match par équipes va commencer dans 15 minutes. Un de mes coéquipiers vient d’arriver dans la salle, il salue rapidement les personnes présentes. Sans prendre le temps de poser sa veste, il interpelle un autre joueur du club par : « un blitz pour s’échauffer ? ».
Sans attendre la réponse, les deux joueurs se retrouvent propulsés devant l’échiquier, l’un réglant la pendule, l’autre ajustant les pièces. C’est parti ! Les coups s’enchaînent les uns après les autres, dans un rythme effréné. Je suis assis juste à côté, en train de commencer mon rituel de préparation mentale, bercé par le bruit des pièces qui s’entrechoquent et des mains qui appuient nerveusement sur la pendule. Le spectacle se termine, les joueurs satisfaits se quittent et attendent le début de la ronde…
Mais d’où vient ce besoin de jouer en blitz avant une partie longue ? Quelle est l’impact de cette habitude sur votre performance ?
Cette situation n’est pas nouvelle en soi. Il suffit de participer à un tournoi d’échecs en cadence lente, pour rencontrer des joueurs, souvent les plus jeunes, qui jouent des blitz juste avant de démarrer leur partie.
Cette pratique, encore tolérée par les organisateurs, est considérée par tous, comme une forme d’échauffement mental avant l’effort. Certains y verront un moyen de diminuer le stress post-match. Pour d’autres, ce sera une façon utile de passer le temps avant d’en découdre sur l’échiquier.
Cette situation est vécue différemment par les arbitres : ils font la chasse aux blitzeurs qui utilisent les jeux et les pendules prévus pour le tournoi. Rassurez-vous, ils ne se soucient pas de la préparation mentale des joueurs. Ils veillent simplement à éviter de devoir remettre les pièces en ordre et de régler les pendules à nouveau, ceci avant le début imminent des parties.
Échauffement mental ?
La plupart des joueurs croient, à l’instar des sports comme le tennis, qu’il est primordial d’échauffer son cerveau avant l’effort, comme le ferait un tennisman, en chauffant littéralement ses muscles par une séquence continue de frappes de balles.
Et pourtant, bien que le cerveau soit habituellement considéré – de façon imagée – fonctionnant comme un muscle, on ne peut pousser l’analogie aussi loin !
« Oui, j’ai joué une partie Blitz une fois. C’était dans un train, en 1929.» Mikhaïl BOTVINNIK
Il existe bien entendu certains exercices, préconisés par les entraîneurs d’échecs, relatifs à l’échauffement du corps. Par exemple, pour remédier au problème de vision globale de l’échiquier, ils préconisent des petits exercices de visualisation avant de commencer la partie. Le plus connu consiste à imaginer les mouvements d’une pièce (souvent le cavalier) sur l’échiquier, sans bouger la tête. Il faut faire voyager la pièce – en la suivant des yeux – à travers tout l’échiquier en passant par les quatre cases du bord.
Cette gymnastique oculaire, même si son efficacité n’est pas prouvée, ne peut nuire au joueur qui la pratique. En bonus, il gagne certainement en concentration.
Revenons à la partie de blitz, censée préchauffer nos connexions neuronales.
Tout d’abord le cerveau, contraint de résoudre une série continue de mini-problèmes échiquéens – une autre façon de voir les blitz – dans un temps très limité, traduit cette forte contrainte sous la forme d’un stress du corps et de l’esprit.
Cette situation de grande tension empêche l’accès aux capacités conscientes. Le joueur puise alors directement dans sa mémoire et sa réserve de positions types. Il adopte ensuite – malgré lui – un jeu mécanique réflexe, n’ayant ni le temps, ni la capacité, de réfléchir réellement à toutes les positions qui se présentent à lui.
Quels sont les effets du blitz ?
Peu de joueurs ont vraiment conscience des conséquences potentielles du résultat de la partie blitz, sur l’issue de la partie à cadence lente à venir.
En effet, deux cas se présentent :
- Soit vous perdez ou faites match nul, et le doute s’installe déjà en vous. Votre esprit est préoccupé : « quand et où ai-je mal joué ? Et si je continuais à mal jouer de la sorte ? Ce n’est peut-être pas mon jour …je ne me souviens plus de la théorie…ah j’ai très mal joué la finale. Dommage, j’étais pourtant gagnant »…bref, non seulement, le joueur accumule les affects négatifs, mais encore il se trouve en proie à ses propres croyances limitantes qu’il vient juste de réactiver !
- Soit vous gagnez le blitz, la confiance s’installe alors à vos dépens, avant que votre « partie sérieuse » ne commence. Vous vous croyez invincible et baissez la garde…
Par ailleurs, activer le circuit action-récompense, conduit à créer de la frustration en cas de perte ou de sur confiance en cas de gain. Cette situation est toujours préjudiciable pour votre concentration dans la partie à venir.
« Je joue trop de blitz. Cela endommage le cerveau aussi sûrement que l’alcool.» Nigel SHORT
Quitter le mode automatique
Jouer des parties blitz avant sa partie lente, présente un autre inconvénient majeur.
L’espace d’une partie éclair, le blitzeur se conditionne à déplacer le plus rapidement possible ses pièces, de façon mécanique et/ou intuitive. Il doit aussi se préparer à jouer – juste l’instant d’après – une partie à cadence lente, en étant cette fois-ci pleinement présent et dégagé de tout mode de pensée automatique. Le joueur se place donc de facto – consciemment ou non – en état de tension importante.
Il m’est souvent arrivé d’observer des joueurs, qui après avoir enchaîné plusieurs blitz, se retrouvent comme sonnés et ne sont plus en mesure de s’adapter au rythme de leur partie lente. Ils passent en effet de trois minutes pour une partie complète, à trois minutes en moyenne par coup ! Quel changement de rythme !
Cela préfigure ainsi sur l’échiquier, un jeu pressé et mécanique accompagné par un manque de concentration. Cette absence de concentration se transforme en gaffes ou erreurs dans la partie, comme je l’ai développé en détail dans les articles précédents.
Se réadapter ?
Le blitzeur a besoin de temps pour s’habituer au nouveau rythme de jeu, ceci au détriment de son temps pendule de la partie en cours. C’est exactement l’inverse de l’effet recherché : paradoxalement, il lui faudra consommer encore plus de temps pour se ré acclimater !
S’il n’y parvient pas, ce sera alors le prélude aux gaffes et aux erreurs dans l’entame de sa partie (« j’ai oublié ma préparation », etc.). Le prétendu gain de temps, grâce à l’échauffement lors de la partie blitz, s’avère finalement n’être qu’une illusion…
L’idéal serait, après la partie blitz, de s’octroyer une vraie coupure, de prendre une grande respiration, de marcher un peu. Mais dans ce cas, quel est l’intérêt de jouer une partie blitz avant sa partie lente, si c’est finalement pour vouloir retrouver un état qui existait déjà avant ce blitz ? Je vous laisse y réfléchir…
Les parties blitz tuent vos idées
« Les parties blitz tuent vos idées. » Bobby FISCHER
Il est aussi démontré que si vous pratiquez intensément des parties blitz, vous aurez tendance à prendre l’habitude de jouer des coups « évidents » rapidement. Vous ne laissez pas le temps à votre cerveau de réfléchir sérieusement à la position pour en explorer toutes les nuances.
C’est le sens profond de la mise en garde de Fischer.
Votre cerveau n’a pas le choix : il est contraint de résoudre successivement des problèmes difficiles à raison de 3 à 5 secondes par coups en moyenne !
La partie de blitz s’apparente finalement à un jeu réflexe basé sur des automatismes inconscients (d’où le nombre élevé de gaffes) et s’éloigne grandement du jeu d’échecs originel.
Qu’en penserait le Grand Maître Adolf Anderssen qui a gagné le tout premier tournoi d’échecs avec utilisation de la pendule, à Londres en 1862 ?
1ère pendule officielle – Londres 1862
Conclusion
Pour conclure, on ne saurait bien entendu, ignorer l’aspect ludique et plaisant de jouer quelques parties blitz – de façon modérée bien sûr 🙂 – dans votre club d’échecs ou sur internet.
En revanche, l’habitude de jouer également des blitz juste avant une partie lente présente des inconvénients dont il faut avoir pleinement conscience.
Partant du principe, que la meilleure façon de supprimer une mauvaise habitude, consiste à la remplacer par une meilleure : je vous recommande lors de votre prochaine partie, de substituer votre blitz d’échauffement par un véritable rituel (voir les articles à ce sujet) pour améliorer votre concentration et prendre plaisir en jouant.
Mentalement vôtre !
Tayeb NAIDJI
Bonjour, j’ai eu un débat avec un ami, je lui ai expliqué que lorsqu’on fait une partie de blitz, on n’active pas les mêmes parties de son cerveau que lorsque l’on joue en partie rapide (de 30 minutes sans incrément par exemple) puisqu’en blitz, on utilise son instinct et son automatisme, alors qu’en partie rapide on calcule intensément.
Sauf qu’il m’a demandé une preuve de ce que j’avance et pour l’instant, même après avoir lu votre article, je n’en trouve pas, avez-vous une donnée qui va dans le sens de ce que je viens de dire et le démontre ? Quelque chose qui montre que les zones du cerveau utilisé ne sont pas les mêmes.
Merci.
Bonjour John,
Je partage votre point de vue. Lorsque l’on joue en Blitz on utilise beaucoup plus ce que l’on appelle les compétences inconscientes ( vs l’accès au compétences conscientes, selon les 4 stages d’apprentissage).
De plus, selon le prix Nobel Daniel Kahnemann, on utilise tous deux modes de pensées : le premier dit système 1 (rapide, instinctif et émotionnel) et le système 2 (plus lent, plus réfléchi et plus logique). Cela se prête tout à fait au jeu d’échecs. En blitz on serait en mode système 1 et en partie classique en système 2. Je vous invite à lire l’article dédié sur Wikipedia qui rentre plus dans le détail ou son livre disponible sur Amazon.